02/04/2015 Interview de Marie Rumagni de bilan.ch avec Dr. Grégoire Schrago
- Dr. Gregoire Schrago

Pourquoi se lancer dans l’aventure Ton Docteur ? quels en sont les bénéfices pour vous ?


Nous constatons partout une pénurie de médecins, principalement dans le premier recours, et l’Observatoire de la Santé à Neuchâtel nous a même prédit dans un communiqué de presse du 01.07. 2008 qu’un tiers des patients ne seraient plus soignés d’ici 15 à 20ans. Nous devons donc trouver des alternatives, et la technologie peut être une aide certaine pour mieux répartir nos forces. Il nous faut vivre avec notre temps, et prendre les bons côtés des avancées scientifiques, également dans le secteur des médias, si le cadre de la confidentialité et les articles de loi sur la protection des données privées sont respectées. Sans aller jouer à Minority Report (avec Tom Cruise), les possibilités technologiques actuelles peuvent nous être d’une grande aide, si elles sont adaptées à nos besoins. En ce qui me concerne, mes nombreux mandats professionnels me poussent à beaucoup voyager en Suisse et à l’étranger, et pouvoir être atteignable est une condition sine qua none. Or le téléphone est un facteur limitant, puisqu’une grande partie de l’information dont nous avons besoin comme médecin pour établir un diagnostic, passe notamment par la vision. Il est spectaculaire de pouvoir tester par soi-même les différences de la prise en charge entre la simple consultation téléphonique et la vidéo-consultation. Même une partie de l’examen physique pour de nombreuses affections peut être montrée et mimée auprès du patient pour aider au diagnostic, ce qui permet un tri beaucoup plus efficace. Dans les services de garde, plus des ¾ des téléphones qui sont reçus en ambulatoire sont des viroses et des petits bobos, qui ne mériteraient pas forcément une consultation physique, mais pourraient être triés en vidéo-consultation bien plus efficacement que téléphoniquement. Ce d’autant plus si par vidéo-consultation il est possible d’effectuer une prescription qu’elle soit pharmaceutique ou à destination d’autres prestataires de soins.

Comment organisez-vous alors vos journées avec Ton Docteur? (nouvel emploi du temps? horaires spécifiques pour Ton Docteur?


En ce qui me concerne, mes journées sont bien remplies par l’ambulatoire du cabinet et les activités d’urgentiste ou de consultant en hôpitaux privés. Je dois également faire face à des mandats de commissions, ou de conférencier que ce soit dans mon canton, voire dans d’autres cantons suisses ou à l’étranger. Je suis donc plutôt online en dehors des heures ouvrables, en soirée, voire les weekends, surtout si je suis en déplacement. Ceci me permet donc d’effectuer des tâches efficaces et de rester disponible pour des patients spécifiques.

N’y a-t-il pas un risque supplémentaire pour le diagnostic si celui-ci se base que par webcam et la parole ? (sans examiner avec ses mains ou un instrument médical ?)


Vous avez tout à fait raison, pour un parfait diagnostic, tous nos sens sont sollicités, mais dans la plupart des petits bobos, des viroses bégnines, un médecin expérimenté a déjà fait le diagnostic au moment de l’entrée du patient dans la salle de consultation, principalement avec la vision. L’examen physique est surtout destiné à écarter des pathologies graves, comme diagnostic alterne. Les investigations nécessaires sont dues à des problèmes plus pointus, et des pathologies non diagnosticables immédiatement. Je vois plutôt la vidéo-consultation dans le sens d’un service à la population, pour les affections banales, qui sont très fréquentes dans les périodes hivernales, sans signe de gravité, ce qui peut déjà être pour plusieurs d’entre-elles exclu en vidéo-consultation, donc c’est un instrument de triage, qui permettrait déjà de désengorger les urgences, souvent saturées, où les gens doivent accomplir des pèlerinages de plusieurs heures, ne serait-ce que l’attente initiale dans beaucoup de centres hospitaliers, lorsque les médecins traitants ont leur cabinet fermé. Cela permettrait également d’envisager des consultations au profit d’autres pays, voire, pour un hôpital comme le nôtre qui a développé des antennes d’aides humanitaires, il est possible d’envisager soutenir les fondations et autres dispensaires soutenus activement par nos collègues par vidéo-consultation, sans avoir besoin de voyager pour se rendre sur place. Je pense également à nos cadres impliqués dans le système économique, et qui devraient voyager dans des pays peu desservis. Ils préféreront se rassurer probablement grâce à une vidéo-consultation plutôt que devoir passer dans un dispensaire où les personnes ne sont pas forcément très bien formées.

Quels sont les retours de vos patients-utilisateurs? étaient-ils déjà des patients de votre cabinet ou les avez-vous gagnés via Ton Docteur?


Les patients que j’ai pu consulter en vidéo-consultation par tondocteur.ch étaient en principe surtout des nouveaux patients, qui ont donné un feedback positif, et qui semblaient satisfaits de la prestation fournie. Il semble que les comptes-rendus étaient positifs, non seulement en comparaison d’une consultation téléphonique standard qu’ils avaient déjà expérimentée, mais par rapport à des prises en charge d’urgence où ils ont affaire à de jeunes médecins en début de formation.

Et la réaction de vos pairs ? ont-ils été surpris, étonnés, inquiets, stupéfaits?


Pour reprendre le pape du changement John Kotter, qui a beaucoup publié sur les changements, il existe toujours une résistance aux changements. L’inertie est toujours là, et il est clair qu’une partie de nos collègues sont plutôt satisfaits du modèle traditionnel, qui tourne bien, et qui donne la sécurité de pouvoir assurer un diagnostic par tous les sens, et de pouvoir immédiatement mettre en route les investigations nécessaires dans un schéma de consultations traditionnelles. Je pense que tondocteur.ch ne s’adresse pas seulement aux jeunes qui ne veulent pas attendre aux urgences, mais qu’il peut autant favoriser monsieur tout le monde, dans des situations de maladie où on est inconfortable en dehors du domicile, que des personnes impotentes ou grabataires, qui pourraient bénéficier à distance d’une vidéo-consultation, puisqu’il semble que nous aurons bientôt une application pour téléphones mobiles à disposition. D’autres médecins surtout parmi les jeunes, voient tout de suite le bénéfice du multimédia dans leurs emplois du temps quotidiens, et quelques dizaines de jeunes médecins semblent déjà s’être annoncés auprès des fondateurs de cette société pour effectuer des prises en charge par vidéo-consultation.

Est-ce tentant de ne faire que de la télémédecine?


En ce qui me concerne, j’aime trop le contact direct avec mes patients pour ne faire que de la télémédecine. Par contre, je sais que c’est le futur, pour une partie de notre patientèle, et que nous allons devoir vivre avec notre temps. Cela nous procure effectivement des avantages, et je peux imaginer que dans un métier qui s’est beaucoup féminisé, puisque le moitié des médecins sont des dames, souvent avec charges familiales, cela peut être une bonne alternative, durant les périodes où les enfants sont en bas âge ou scolarisés, de manière à pouvoir consulter à la maison, sans devoir retourner sur son lieu de travail, et garder son expérience professionnelle. Cela peut être également une bonne alternative pour tous les gens qui voyagent beaucoup, et doivent accomplir leur formation à l’extérieur, de manière à pouvoir être toujours attentif à sa patientèle. J’avais vécu la situation d’un jeune collègue qui ne voulait pas s’installer, et qui préférait effectuer des gardes au profit d’hôpitaux privés à Genève ; là aussi, ce serait un avantage pour ceux qui ne veulent pas investir dans un équipement lourd, de consulter uniquement par vidéo-consultation, puisqu’il suffit que d’un droit de pratique, et d’un computer avec webcam adaptée. L’investissement est donc autrement moins conséquent qu’un cabinet avec la location des locaux, l’infrastructure, le mobilier, le personnel, etc. Il est probable qu’à moyen terme, beaucoup de jeunes aient envie de se lancer uniquement dans cette voie, de manière à ne pas devoir investir du temps, de l’énergie, et des frais conséquents pour un cabinet standard. Ceci pourrait être également une alternative pour des gens en pré-retraite, qui veulent diminuer leur coût de fonctionnement, et continuer à garder une certaine activité clinique tout en profitant d’horaires plus légers.

Comment s’est passé votre première fois? (prise en main simple? apprentissage de la technologie)


Pour moi, l’apprentissage a été relativement simple, puisque l’outil est convivial, simple d’utilisation. Une seule consultation permet d’explorer rapidement les possibilités, et on nous promet de nouveaux développements autant entre professionnels de la santé qu’entre le patient et les professionnels. Donc il s’agit d’une plateforme tout à fait ouverte vers le futur, et agréable d’emploi. On doit s’habituer par-contre à parler et à regarder vers la webcam, et pas vers son image. C’est également un autre apprentissage de devenir une figure médiatique, et non plus seulement un médecin de cabinet.

Comment les assurances ont réagi ? Se sont-t-elles montrées enthousiastes?


L’accueil est différent d’une assurance à l’autre. En effet, le concept entre en concurrence avec Medgate, la plateforme téléphonique développée par certains assureurs. Mais d’autres assureurs ont fait leurs calculs et ont réalisé que si les gens effectuaient de la vidéo-consultation, au tarmed actuel, il y aurait probablement moins de vacations d’examens physiques et d’investigations complémentaires effectués, ce qui sur le nombre de consultations pourrait faire baisser les coûts et être intéressant pour les assureurs, comme pour les patients. Elles sont donc très attentives au développement de cette nouvelle technologie, car tout ce qui peut maximaliser la prise en charge du patient au meilleur coût va de toute manière intéresser l’assureur par définition.

En vous remerciant, je vous adresse, chère Collaboratrice, mes meilleures salutations
Dr. Grégoire Schrago